Je veux être un homme libre

J'ai toute la terre devant moi. Aucun nuage. L'horizon est parfaitement clair. Le sommet des monts scintille dans le soleil couchant. Croyez-vous que les mots peuvent traduire ce vertige qui tourne en moi à la manière d'une outre dans son puits ? Ce soir, j'ai l'impression d'être au centre des propriétés du mystère et je m'entends respirer. Je dérive vers je ne sais quels lointains. Je pense à cette phrase de Nathaniel Hawthorne: "Où est notre univers ? Il s'est effondré et ses fragments épars ont été emportés loin de nous tandis que, à la dérive dans le chaos, nous écoutons parfois le fantôme des vents errants qui passent en gémissant à la recherche de ce qui fut autrefois notre monde." Ce soir, je me suis habillé d'étoiles pour la leçon des ténèbres. Malgré l'immensité du lieu, la lumière ressemble à une lumière de cloître. Pourquoi faut-il toujours un mur pour renvoyer l'écho ? Je pense aussi à John Muir qui disait "Aussi longtemps que je vivrai, j'entendrai les chutes d'eau, le chant des oiseaux et du vent, j'apprendrai le langage des roches, le grondement des orages et des avalanches. Je me lierai aux glaciers et aux fleurs sauvages, et je resterai aussi près que possible du coeur du monde. Et qu'importent la faim, le froid, les travaux difficiles, la pauvreté, la solitude, les besoins d'argent, le souci d'être connu ou de se marier." Théodore Roosevelt dira de lui que ce fut l'être le plus libre qu'il n'ait jamais rencontré. Ce soir, j'ai l'impression d'entendre la voix du vieux John. "Se laisser traverser par le chant de l'univers, voilà ce qui importe" disait-il. Le vide est rempli de présences muettes. J'ai toujours eu l'impression d'être tombé comme une pierre au coeur d'un secret qui m'enveloppe de ses arcanes. Mais avant que le soleil ne bascule derrière l'horizon, j'ai eu le temps de saisir son dernier rayon, celui dont les Indiens disent qu'il sera toujours la corde de musique de l'Esprit.